Manger, c'est culturel by Christine Ott

Auteur:Christine Ott [Ott, Christine]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Social Science, Customs & Traditions, Gender Studies, Agriculture & Food, General, Littérature
ISBN: 9782379311178
Éditeur: Humensis
Publié: 2020-03-04T23:00:00+00:00

Slow Food contre fast-food

Mouvement d’inspiration communiste lancé contre la mondialisation et la « macdonaldisation » des habitudes alimentaires, le Slow Food semble offrir une alternative à la folie normative de l’Union européenne. Carlo Petrini, son fondateur, était un membre actif du parti d’extrême gauche, le Partito di Unità Proletaria per il Comunismo121. À l’origine, ce mouvement voulait défendre un bon rapport qualité-prix, grâce à des critiques de restaurants et à un guide des vins. À partir de 1996, il s’est engagé pour la sauvegarde de produits rares en aidant les petits producteurs à mettre leurs denrées sur le marché, grâce à un réseau les associant à des commerçants, à des experts scientifiques et à des consommateurs. Mais il a pu faire preuve d’une conception trop étroite et trop marquée idéologiquement, comme l’illustre l’exemple du bitto – un fromage renommé produit dans la vallée lombarde de la Valteline122. Seule une partie de cette vallée peut se prévaloir d’une tradition autochtone de fabrication, et les producteurs locaux ont exclu de leur réseau Slow Food les fabricants de fromage voisins. Au cours de l’exposition bitto de 2004, on a ainsi assisté à une concurrence quelque peu ridicule entre deux stands de fromage : le premier représentait l’association des producteurs locaux et vendait du fromage bitto ; le stand du réseau Slow Food ne proposait, quant à lui, que des dégustations dudit fromage. Réduite à une toute petite partie de la vallée, la production du bitto authentique était tellement faible qu’elle était insuffisante pour la vente. Ce cas montre bien les conséquences que peut avoir une conception de la tradition obsédée par l’authenticité : un fromage invendable parce que trop rare était devenu un objet de musée. On comprend pourquoi le mouvement Slow Food se voit de plus en plus reproché d’avoir trahi l’idée d’origine de « bons produits pour tous ». Si la quête de l’authenticité a pour conséquence que les produits protégés ne soient accessibles qu’à une petite élite, le Slow Food contribue indubitablement à renforcer les hiérarchies sociales123.

Plusieurs mouvements critiquant la mondialisation ont voulu réagir à cet état de fait, comme Campagna per l’Accesso alla Terra (« Campagne pour l’accès à la terre ») ou Genuino Clandestino (« Authentique et clandestin »). Ces réseaux de petits producteurs cherchent à contourner les obstacles du marché néolibéral, à travers la vente directe et sans l’aide des certificats. Genuino Clandestino produit ainsi des aliments bio qui sont « certifiés non certifiés », comme l’écrit Fabio Mattioli124.

La hiérarchie entre les pays européens possédant de nombreux produits protégés et les autres qui sont à peine représentés sur les listes des AOC et des AOP recoupe des intérêts économiques et politiques, mais elle informe aussi les imaginaires collectifs. Le monde se divise entre les nations admirées et celles méprisées pour leur cuisine.

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